Chasseurs d'images
Je viens de passer douze jours avec des clients dans la région de Québec. Des photographes amateurs venus de France, Belgique, Luxembourg et Suisse (un Genevois et une Lausannoise!) pour immortaliser les célèbres couleurs de l'automne québécois. L'occasion pour moi de découvrir le travail passionnant et les techniques utilisées par ces chasseurs d'images. A l'affut du moindre "spot" intéressant et de la lumière idéale, ils ne ressemblent en rien aux touristes qui se contentent de prendre des clichés souvenirs en mode automatique.
Chauffeur de leur bus, je m'arrêtais sans cesse, répondant aux désirs de la photographe professionnelle qui chapeautait le groupe. Armés de leurs appareils au format et poids imposant, il fallait les voir se ruer hors du minibus, se mouvoir dans le terrain. Pour chercher le meilleur angle, le meilleur réglage, le plus beau sujet. Devisant sur la profondeur de champs, le contre-jour, la mesure ISO et plein d'autres termes spécifiques à leur passion commune.
Oui, il en faut de la passion pour se lever à 5h30 du matin (et le chauffeur avec!) pour se rendre sur une colline et profiter du lever du jour, un lac fumant de brume au premier plan. Bientôt la petite chapelle dominant la colline d'en face sera totalement dévoilée. Proie imminente d'une dizaine d'objectifs brandis dans un alignement aux allures de peloton d'exécution. Quinze, peut-être trente minutes où il faut être là, ne pas rater son coup. Ensuite le soleil sera trop haut. L'heure alors d'aller prendre le petit déjeuner. Heureux de s'être levé si tôt. Récompensés par une nature devenue complice.
Je me suis amusé durant le voyage à photographier les... photographes. L'arroseur arrosé. Le chasseur devenu gibier. Très vite, je me suis pris au jeu. Avec mon simple téléphone portable qui avoue tout de même 8 millions de pixels, j'ai tenté de rivaliser d'originalité avec mes compagnons de voyage, de trouver des plans originaux.
Mais ma plus grande fierté, je l'ai ressentie au moment où nous avons eu la chance de rencontrer trois orignaux dans un sous-bois. Alors que nous approchions le plus doucement possible des ces magnifiques bêtes, j'ai décidé de les contourner. Ainsi, et grâce peut-être aux 300 jours d'armée effectués dans ma jeunesse, je me suis retrouvé très vite face à la meute de photographes, après avoir marché, rampé et manqué de me déchirer les pantalons. Entre eux et moi, nos trois orignaux. Dissimulé au milieu des branchages derrière un tronc couché, j'ai attendu. Je me suis retrouvé à 3m du mâle et de ses bois imposants! Il reculait tranquillement pour laisser mes compagnons à bonne distance et ne m'avait pas vu. Une seule seconde de peur quand il a tourné la tête vers moi. Avant de tendre mon téléphone et d'appuyer sur la détente. Une seule fois. Cette photo est la plus excitante de toute ma vie. Ensuite j'ai baissé mon "arme" pour simplement profiter du spectacle. Et le laisser passer à côté de moi. S'il avait pu parler, j'ai envie de croire qu'il m'aurait lancé un "bien joué"! J'aime cet animal gros comme une vache et grand comme un cheval. Je rêvais de le croiser dans son environnement naturel. Un moment magique de pur bonheur.
En cette période de chasse au fusil, orignaux, caribous et chevreuils tombent sous les balles. Sur les cartes mémoire de mes photographes, ils sont bien vivants, tout juste ont-ils été dérangés quelques instants dans leur environnement. S'ils n'ont pas la chance de passer entre les balles, les voilà tout de même immortalisés, capturés d'une seule pression d'index. Sans douleur.
Ces personnes que tout sépare dans la vie, se retrouvent l'espace d'un voyage pour assouvir leur passion commune. S'améliorer, encore et toujours. Comme le cinéaste cherche la prise idéale, ils traquent la photo parfaite, le cliché qui leur apportera du plaisir. Car il ne s'agit pas d'autre chose. Ce ne sont pas des pros, ils ne vendront pas leurs prises de vue. Ils ont juste trouvé une manière originale de visiter le monde loin des cars de touristes.
Suite à ce séjour, me voilà bien piqué. Oui, j'ai envie de m'offrir un "vrai" appareil, du style de ceux avec lesquels on ne peut pas téléphoner. Pour devenir moi aussi un chasseur d'images...